Création : 7 octobre 2019 - Dernière modification : 21 octobre 2019
Plusieurs légendes nous expliquent l'origine du nom de La gueule d'Enfer, en voici une première:
.............. - Récit de Édouard Colvis paru dans L'Est Illustré du dimanche 4 avril 1926
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La Meuthe rejoint la Moselle au lieu dit "La gueule d'Enfer"
Détail d'une carte postale (Collection Jean-Luc Gouret)
Récit de Édouard Colvis paru dans L'Est Illustré du dimanche 4 avril 1926
...Une tragique légende de ce moyen-âge, si lourd de tristesse et de douleur, m’a été contée, voilà de longues années par une mère-grand, qui elle-même la tenait d’une aïeule qui l’avait déchiffrée dans des feuillets jaunis conservés en famille depuis une époque qui se perdait dans la chronologie des temps.
...Je vais vous la raconter :
...« Il était une fois un seigneur baron, fameux par sa cruauté et ses brigandages.
...Ledit seigneur était si méchant seigneur qu’il faisait jeter à tort, un homme dans sa geôle souterraine creusée dans un rocher du Faugeot.
...Et ledit seigneur était si méchant seigneur qu’il faisait pendre à bon plaisir un riche marchand passant sur la route qui conduisait au pays de France.
...On appelait ledit seigneur Bouche d’Enfer.
...Il portait une longue barbe, couleur de feu, qui encadrait sa bouche de reflets rougeoyants.
...Quand cette barbe s’étalait sur sa large poitrine, on aurait cru, de loin, voir une longue flamme sortie du sein de l’enfer et accrochée à son visage par quelque sortilège.
...Voilà pourquoi on l'appelait Bouche d'Enfer.
En ce même temps lointain, vivait en notre village de Frouard, une jeune fille qui avait eu ses dix-sept ans au premier dimanche de l’Avent, et qui était réputée pour sa grande vertu. ...On l’appelait Blancherose à cause de sa beauté.
...Ses parents étaient de pauvres bûcherons, elle les aidait souvent dans leurs travaux, à cordeler le bois de bûches et à fagoter le bois de ramiers.
...Il arriva que Blancherose fut rencontrée dans un sentier de la forêt de la Waltriche par Bouche d’Enfer qui lui dit en adoucissant sa voix qu’il avait rude :
...« Viens dans mon château, charmante damoiselle, je te donnerai de l'or et de l’argent ».
...Mais Blancherose, qui avait un cœur pur comme le pur cristal, répondit en faisant sa révérence : « Que votre Seigneurie garde son or et son argent, je garde la sagesse dans la pauvreté. »
...Le cruel baron fut moult courroucé de cette noble réponse et ordonna que sur-le-champ on punît de la hart cette honnête et si vaillante jeune fille.
...Le supplice allait avoir lieu sur la place du village, où se profilait le bras maudit de la potence dressée en permanence en face de la grande croix de Libération, dont les bras de miséricode s’étendaient au-dessus de la population accourue.
...... Infortunée Blancherose, dans quelques secondes toncorps virginal se balancera dans le vide à l’extrémité de la fatale corde ! Tu vas quitter la vie avant que le voile mystérieux de l’amour se soit levé pour toi ! Mais tu soupçonnes les félicités que cache ce voile, et tu pleures... A cet instant, ta suprême consolation fut peut-être la présence de ta mère que tu as cherchée du regard et que tu as aperçue, désespérée, en avant de la foule maintenue par une compagnie d’archers.
...Alors de cette foule angoissée, monta une longue lamentation !
...Mais un grand miracle allait châtier le méchant.
...L’œil du Christ, dont l'image était sculptée dans la pierre de la Croix de Libération, devint tout à coup fulgurant, et cet œil lança sur le cruel seigneur qui assistait au supplice, un regard comparable à l'éclair qui jaillit des nues les jours d’orage.
...Foudroyé par cette étincelle miraculeuse, Bouche d’Enfer roula sur le sol.
...Et de la foule terrorisée, s’échappa un sentiment d’effroi !
...En même temps la vertueuse Blancherose, qui avait senti ses liens se dénouer d’eux-mêmes, quittait le lieu de son supplice, et, après avoir pardonné à son bourreau, rentrait en triomphe dans la maison de ses parents.
...Et, de la foule émue, s’éleva une éclatante action de grâces.
...Quatre hommes d’armes placèrent sur leurs épaules le corps raidi par la mort, de Bouche d’Enfer.
...Ces quatre guerriers n’avaient jamais eu peur, ils n’avaient jamais tremblé : à ce moment ils tremblèrent comme des feuilles agitées par le vent. Ils se dirigèrent vers le cimetière qui entourait l'église. Sur leur passage, tout le monde fuyait en se signant. Le curé de notre paroisse, qui s'était placé en travers de la porte du cimetière, refusa la sépulture en terre sainte à si grand scélérat.
...Alors les quatre guerriers, toujours tremblants, suivirent la rue des Armuriers, puis le chemin de la Papeterie qui conduisait vers la Moselle, qu’ils longèrent pendant quelque temps pour aller précipiter leur redoutable fardeau dans les remous du tourbillon d’un trou sans fond de la rivière où les eaux de la Meurthe et celles de la Moselle se confondent et forment un unique cours d’eau large comme un fleuve.
...Bouche d’Enfer restera dans ce gouffre jusque la consommation des siècles.
...Dès lors le confluent de la Meurthe et de la Moselle porta le nom du cruel baron ; mais dans la suite des temps, ce vocable déformé par la malignité publique est devenu la Gueule d‘Enfer.
...C’est actuellement sous cette dénomination qu’est connu dans la région, et qui est désigné dans les géographies de la Lorraine, le confluent des deux rivières.
...Quant à la mémoire de l'héroïne de cette légende, elle fut pendant un grand longtemps entourée de la vénération populaire à laquelle se rattachait une gracieuse faveur : toute jeune fille ayant posé le pied à l’endroit qu’occupait la jeune vierge dans l' attente de son supplice, trouvait dans le courant de l'année un loyal épouseur.
...C’est en vue d’entrer en possession de cette faveur, qu’au temps jadis, après les vêpres du dimanche de la Saint-Jean d’été, toutes les jeunes filles du village, se tenant par la main, avaient coutume d’enrouler et de dérouler une joyeuse farandole autour de la Croix de Libération.
...Et dansant, chantant, riant, elles emplissaient la vaste place de leurs ébats, tout en caressant l'espoir de mettre, et non sans émotion, le pied à la « bonne place ».