blason de Pompey permettant le retour à l'accueil

 

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Capitaine Engelhardt
Paul Émile Engelhard est né le 27 juillet 1868 à Münster.
Il obtient son diplôme d'étude secondaire en 1886 et décide de poursuivre une carrière d'officier de marine. Il atteint le grade de capitaine. Lorsqu'il quitte le service actif en 1904 il est nommé capitaine de corvette.(1)
Il est aide de camp du prince impérial.

À Berlin il rencontre Orville Wright, celui-ci, avec son frère, tous deux pionniers américains de l'aviation, sont ingénieurs, concepteurs, constructeurs et pilotes. Enthousiasmé par cette entrevue, il donne sa démission d'officier de marine et d'aide de camp pour se vouer uniquement à la locomotion aérienne.

En 1909 il fait ses débuts avec Orville Wright. Breveté sous le numéro 3 le 15 mars 1910, il devient le premier pilote de la société allemande Wright. Il participe à presque tous les meetings aériens qui ont lieu en Allemagne.
L'empereur d'Allemagne désir que le plus grand nombre possible d'officiers de l'armée active apprennent à se servir de machine à voler, Engelhard est chargé d'initier les officiers allemands à l'art de voler.(2)
Par la suite il initie également vingt-cinq officiers japonais, ces derniers venant d'acheter des bi-plans Wright.

Le 30 septembre 1910, prenant part au meeting de Trèves-Metz, trompé par le brouillard, il passe Metz à 500 mètres d'altitude, franchit la frontière à Noviant-Pagny-sur-Moselle, survole Pont-à-Mousson et descend sur les forges de Pompey. Il atterrit dans une prairie devant Clévant, sur le territoire de Frouard.

La situation entre la France et l'Allemagne étant très tendue, des suspicions d'espionnage sont de suite évoquées. Revivons ces heures par les récits des journaux de l'époque.

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Presse allemande
 

Presse française

..Le temps qui, le matin, menaçait de tourner à la pluie, s’était décidément remis au beau pour l’après-midi ; mais un vent assez fort soufflait qui faisait craindre pour le succès de la journée.
..Aussi l’affluence au champ d’aviation ne fut pas très forte jusque vers 5 heures où l’on apprit que Thelen voulait partir et qu’Engelhard avait quitté Trêves.
..De long en large, la foule se promène, et déjà l’impatience commence à se manifester, quand on voit Thelen discourir avec des officiers et ensuite se diriger vers son hangar, dont la toile s’ouvre.
..Bientôt l’appareil est sorti et amené par des soldats sur la place d’où il s’élance avec une sûreté remarquable, exactement à 4 h. 47 et file vers le Nord à une hauteur d’environ 150 mètres. On peut le suivre à l’œil nu pendant dix minutes, puis on le voit tourner et descendre. C’est la panne, après douze minutes de vol. Un défaut du moteur force l'aviateur à descendre et il atterrit dans les prés entre Hauconcourt et Maizières-lès-Metz.
..On communique la nouvelle au public désappointé en baissant le pavillon. Un peu après, le téléphone annonce que Thelen, en atterrissant, aurait enlevé les cornes à une vache, mais ceci demande à être confirmé. C’est une rupture du conduit de benzine qui a provoqué la panne. Une escouade de militaires a été envoyée pour garder l’appareil cette nuit en attendant que Thelen reçoive les pièces nécessaires de rechange pour rentrer à Metz, car il ne pourra plus guère entreprendre le vol de Trêves demain.
..Mais entre-temps la sonnerie du téléphone retentit et annonce une nouvelle accueillie par les bravos répétés des spectateurs. Le numéro 1, Engelhard, a quitté Trêves à 4 heures 59 pour Metz. Anxieusement on suit le tableau du start qui indique les différentes localités où il passe.
..C’est Igel, à 5 h. 08, à 100 mètres de hauteur ; Wellen, à 5 h. 12 ; Palzem, à 5 h. 24 ; Sierck, à 5 h. 38 ; Kœnigsmacker, à 5 h. 40, très haut ; Thionville, 5 h. 45 ; Uckange, 5 h. 50 minutes.
..A chaque déclenchement, le public applaudit plus fort. A 6 h. 02, on aperçoit au Nord un petit point noir qui avance et grossit rapidement. C’est Engelhard qnii arrive à toute vitesse.
..A 6 h. 12, il passe au-dessus du champ d’aviation, ayant mis donc 70 minutes pour parcourir les 105 kilomètres qui nous séparent de Trêves. Au passage, la foule le salue de cris répétés, mais l’aviateur passe à toute vitesse et se dirige vers Metz. On croit qu’il veut doubler la Cathédrale puis qu’il reviendra, mais l’appareil diminue à vue d’œil, et dix minutes ne sont pas écoulées qu’on ne voit plus rien. Engelhard nous a brûlé la politesse. Mais on ne désespère pas de le voir revenir bientôt et atterrir.
..Entre-temps, Jeannin était arrivé et son appareil sorti du hangar. Les mécaniciens remontent les parties démontées et à 6 h. 20, Jeannin fait une envolée superbe pour essayer son appareil. Bientôt il descend et remonte ensuite à 6 h. 25, avec un passager, le lieutenant Braun, du 9e dragons. Deux fois il fait le tour et descend après exactement 5 minutes, d’un vol magnifique, d’une stabilité remarquable. Son passager, le lieutenant, reconnaissait avec éloge qu’on a un sentiment absolu de sécurité, mais, ajoutait-il, seulement parce que M. Jeannin dirige. La foule crie: « Vive Jeannin ! ».
..A 6 h. 35, nouveau vol de 3 minutes avec un second passager, le docteur Schlesinger.
..Le temps passe ; Jeannin ne veut plus entreprendre de nouveau vols à cause de la nuit tombante, et Engelhard ne revient pas.
..Enfin, à 6 h. 40, on téléphone qu’il a passé la frontière. 5 minutes après, il est à Pont-à-Mousson.
..— Où est donc la « Strassburger Post » ? demande quelqu’un. Va-t-elle demander encore qu’on « le descende, lui et sa machine ? »
..On ne sait comment expliquer cela. D’aucuns disent qu’il est arrivé avec une telle vitesse qu’il n’aura pas cru être à Metz et manqué ainsi le but ; ce qui est le plus probable. D’autres disent même qu’il n’était peut-être plus maître de son appareil.
..Enfin, on sera fixé là-dessus demain.
..A 7 h., à la nuit, pas encore de nouvelles.
..La quatrième journée du concours d’aviation est terminée. Espérons que demain, arriveront les autres concurrents qui manquent encore à l'appel.
(Le Messin du samedi et dimanche 1er et 2 octobre 1910.)

 

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.Ils n’ont pas tiré dessus ! — L’aviateur Engelhard, par suite d’une méprise inexplicable de la part d’un capitaine de corvette, a passé au-dessus de Metz sans le voir et a filé vers Nancy, croyant, paraît-il y trouver Metz !
..Si, comme c’est assez probable, il a su comment la Strassburger Post, avait proposé de traiter les aviateurs français s’ils s’avisaient de passer la frontière, il a dû être quelque peu inquiet sur son sort et a dû à plusieurs reprises écouter s’il n’entendait pas siffler les balles à ses oreilles.
..De fait, il paraît qu’il n’était qu’à demi rassuré en atterrissant en France et se demandait quel accueil on allait lui faire. Si ces chiens de Français allaient s’aviser de le lapider ou tout au moins de l’arrêter ! La mesure n’aurait pas été inexplicable, car, en somme, il est officier allemand et a pu à loisir examiner les forts français.
..Aussi est-ce avec un réel soulagement qu’il a constaté qu’on lui faisait un accueil cordial et hospitalier.
..Un Français à qui nous exprimions notre satisfaction de l’attitude des populations françaises, nous a répondu : Il n’y a pas de quoi nous féliciter. Les Français ne sont pas des sauvages pour tirer sur un homme qui, dans un exploit d’aviateur digne d’admiration, vient en France ! — Bravo ! ai-je répondu, et j’ai ajouté in petto : Qu’on se le dise en Allemagne ! L. R.
(Le Courrier de Metz du lundi 3 octobre 1910.)

 

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Nancy. — M. Achille Liégeois, de L'«Est républicain», a interviewé le capitaine Engelkardt, qui lui a fait les déclarations suivantes:
..« — J’ai quitté depuis cinq ans mon commandement. J’étais capitaine de corvette. L’an dernier, j’ai commencé mes expériences. Le succès m’a encouragé. Le circuit de Trèves-Metz me tentait. Je résolus d’y prendre part... Un raid de 105 kilomètres est peu de chose, en somme.
..— A quelle heure êtes-vous parti ?
..— A cinq heures. C’était mon premier voyage. J’étais plein de confiance. Un des concurrents du circuit, Jeannin, ayant mis deux heures environ pour couvrir l’étape, j’ai volé pendant cinq quarts d’heure et, en arrivant à Metz, j’ai pensé que j’atteignais seulement Thionville... J’ai donc continué ma route.
..— Comment avez-vous reconnu votre erreur ?
..— En apercevant les hautes cheminées de Frouard et de Pompey... J'ai pensé que j’avais franchi la frontière... Je me suis alors préoccupé de trouver un champ propice à l’atterrissage... J’ai failli me jeter dans les fils aériens sur lesquels glissent les chariots pleins de minerai... Enfin, j’ai remarqué un vaste pâturage. Des animaux y paissaient, sous la garde d’un bouvier... Je suis descendu en vol plané, sans incident.
..— N’avez-vous pas été inquiété par la gendarmerie ?
..— Non... Le bouvier a pris soin d’éloigner les bestiaux... Il m’a conduit ici... J’ai exposé mon cas... Justement, j’étais parti de Trêves sans argent... Je ne possède même pas le prix d’une chambre... Heureusement, j’ai reçu dans cette maison une touchante hospitalité...
..Mais notre interlocuteur n’est pas complètement rassuré. Il nous demande :
..— Est-ce qu’à Metz on est au courant de l’affaire... Ma femme est dans les transes... J’espère qu’elle sera avertie... Elle est sans nouvelles de moi depuis deux jours...
..Quand il sait que le comité d’aviation, à Metz, a été informé par télégramme des péripéties de son “voyage, l’ex-capitaine ne peut contenir sa satisfaction :
..— Je repartirai demain matin, à cinq heures, de Pompey.
..Puis, croisant les poignets, comme s’il les tenait aux cabriolets des gendarmes :
..— A moins qu’on ne m’arrête... On me fera passer peut-être pour un espion, ajoute-t-il en souriant.
..— Combien d’aviateurs étaient avec vous engagés dans le Circuit ?
..— Cinq... J'étais le troisième... Je devais faire le voyage avec un passager ; mais, au dernier moment, j’ai redouté une panne et je suis parti seul. »

A la ferme de Clévant

..Cinq heures du matin.
..Quel brouillard ! On le couperait au couteau. Les arbres détachent vaguement leurs silhouettes comme sur une glace sans tain. Par ci, par là, des lanternes piquent une lumière furtive parmi la huée épaisse et froide.; puis une sirène annonce l’approche d’automobiles.
..Le défilé des curieux commence. Quelques Nancéiens ont choisi pour but de promenade matinale la ferme de Clévant, ou, pour être exact, le Grand Pré, que la route de Custines et la Meurthe bordent sur une longueur de 1100 mètres.

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..Le Grand Pré est admirablement situé, l’herbe est rase, le sol est peu raboteux.
..II forme une vaste étendue, ça et là coupée de ronces artificielles. Grâce à une manœuvre habile, le capitaine Engelkardt évita les clôtures et se posa sur la pelouse avec la légèreté d’un oiseau.

L’aviateur essaie son moteur

..A 8 heures et demie, le capitaine Engelhard arrive. Il consulte une carte, tout en marchant. M. de Bucy, président de l’A.C.L., M. le lieutenant d’Huart, du 5e hussards, un industriel de St-Max, M. Jules Lévy, l’accompagnent, ainsi que M. Gustave Closse :
..— Vous êtes le premier aviateur qui vient en France, lui dit M. Lévy.
..— Et je compte aujourd’hui, réplique l’officier, être encore le premier aviateur qui se rendra de France en Allemagne.
..Puis il exprime une vive satisfaction, en constatant qu’un mouvement de sympathie se manifeste autour de lui ; il essuie complaisamment le feu des objectifs photographiques braqués sur lui.
..— Si quelques personnes me prêtent leur aide, dit-il, je vérifierai mon appareil.

 

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..Tout de suite, de bonnes volontés s'empressent. Gustave Closse saisit une hélice ; l’aviateur lui donne ses instructions pour la mise en marche et se tient lui-même auprès des quatre cylindres.
..— Attention... une... deux... trois...
..Lancées avec force, les hélices s’animent aussitôt d’un mouvement de rotation tel que le vent de la vitesse décoiffe les spectateurs : chapeaux et casquettes s’envolent. Les explosions sont rapides, régulières. Pas un raté. L’humidité de la nuit n’a rien dérangé.

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..— Je suis content, déclare l’ancien capitaine de corvette, qui, suivi d’un long cortège de curieux, revient sur la route, monte en auto et roule vers Nancy, où son couvert est mis à la brasserie Viennoise.
..Ayant la certitude que le départ se produira seulement dans l’après-midi, M. Arrighi, commissaire spécial de Nancy, rentre à Nancy, laissant sur place gendarmes et douaniers pour veiller sur le biplan Wright.

Le capitaine Engelhard s’est rendu à Metz

..A dix heures du matin, le capitaine Engelhard, ayant pris place sur la Pic-Pic de M. Jules Lévy, s’est rendu à Metz, afin de s'entretenir quelques instants avec le comité d’aviation.
..Les deux excursionnistes ont été reçus par le président de l'Aéro-Club impérial, M. Viehler, qui a remercié chaleureusement M. Lévy pour ses bons offices. Des officiers sont venus à leur tour, prodiguant les félicitations :
..— Nous espérons que la réception dont le capitaine Engelhard a été l'objet marquera une date dans les relations entre les aviateurs de tous pays.
..Faisant allusion à l’article de la Strass-burger Post, ils ajoutèrent textuellement :
..« — Nous n’avons connus les propos tenus à l’égard de la France que longtemps après leur publication ; on ne peut rendre responsable de ces paroles la nation allemande.»
..Mme Engelhard était venue le matin même en automobile de Trêves à Metz..
..A la nouvelle que son mari était sain et sauf, que son appareil n’était pas le moins du monde endommagé, elle est repartie pour Trêves.
..M. Lévy et l’aviateur allemand sont revenus à Nancy et, sur le coup de trois heures, ils déjeunaient (!) enfin à la brasserie Viennoise.

...................Avant le départ

............Bouxières, 4 heures 10 soir
..La foule n’a cessé de stationner au Grand-Pré. La gendarmerie de Pompey et de Frouard maintenait l'ordre. Automobiles et bicyclettes amenaient à chaque instant de nouveaux curieux.
..Le capitaine Engelhard est attendu avec impatience. On signale à 4 heures précises son arrivée. Il échange des saluts avec les personnalités présentes, puis il vérifie les divers organes de son appareil.
..L’hélice est mise en marche.
..L’aviateur décide d’expérimenter le fonctionnement de son moteur pendant une vingtaine de minutes, afin, dit-il, d’être absolument sûr du rendement.
..Des ouvriers s’offrent pour un « coup de main » ; les uns sont cramponnés au gouvernail; les autres retiennent chaque extrémité des ailes.
..Le capitaine Engelhard s’assied sur le petit siège drapé d’étoffe brune. Il est plein de confiance, malgré la situation critique de l’appareil « encaissé » dans une prairie que barrent les arbres de la berge de la Meurthe...

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..Tout est prêt pour le départ.
..Nous lisons dans les « Débats » :
..« Les deux manières, celle de la « Strass-burger Post » et celle des habitants de Meurthe-et-Moselle peuvent se comparer, et chacun, suivant son goût, dira laquelle il préfère. Celle des Lorrains nous paraît meilleure pour toute espèce de raisons qu’on nous dispensera de développer. Une de ses supériorités est de montrer chez ces Français de Lorraine une belle, heureuse et juste confiance en soi qui les dispense de perdre la tête parce qu’un biplan allemand a passé la frontière. De là à souffrir que les appareils de nos voisins viennent habituellement regarder ce qui se fait chez nous, il y a loin. Mais pour une aventure fortuite, comme celle d’hier, rien ne révèle mieux le bon état des forces physiques et morales que ce sang-froid qui n’a pas été un instant troublé. »

Le capitaine aviateur allemand n’a pu quitter Nancy en aéroplane

..Le capitaine allemand qui, ainsi que nous l’avons dit, avait atterri à Pompey, a tenté, dans l’après-midi d’hier, de quitter ce point par la voie des airs. Mais après quelques essais infructueux, l’appareil a été remisé et il est parti aujourd'hui avec l'aviateur par la voie ferrée.
(Le Courrier de Metz du lundi 21 février 1910.)

 

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..Un aéroplane — un biplan — monté par un officier de la marine allemande, qui prend part au circuit Trêves-Metz, a atterri, vendredi soir, près de la ferme de Clévant, non loin de Custines. Cette nouvelle, connue à Nancy dans la soirée, a produit une certaine émotion.

Différence de traitements

..Quand, avec sa tranquille insouciance, l'aviateur français Legagneux passa la frontière le 11 août dernier, hasarda une promenade jusqu'à Château-Salins, ce fut pour la Strassburger Post un prétexte à rodomontades:
..— Si les aéroplanes français osaient s’aventurer aux abords de nos citadelles, s’écriait l’organe pangermaniste, nos sentinelles tireraient dessus... »
..En réponse à ces provocations, à ces menaces, un brave fermier de Lorraine a, hier, offert l’hospitalité à un ex-officier de marine allemand, le capitaine Engelhard.
..Nous avons pu rejoindre l'aviateur allemand. Il était encore sous le coup d’une vive émotion ; il exprimait à la fois ses inquiétudes personnelles et la crainte que l’incident soulevât des complications, des difficultés :
..— J’ai quitté Berlin, disait-il, pour prendre part au circuit Trêves-Metz... Ma femme est sans nouvelles de moi... Comment l’avertir ? ... Et puis, ma présence a de quoi alarmer les autorités françaises qui pourraient voir en moi un vulgaire espion... Ne va-t-on pas me mettre en état d’arrestation ?... »
..Le capitaine fut vite rassuré. Il apprit que le comité d’aviation était avisé de l’affaire, que sa famille en était également instruite, qu’enfin la gendarmerie de Frouard n’avait pas l’air de trouver extraordinaire ni suspecte son excursion imprévue.
..Mieux encore.
..Le biplan du capitaine Engelhard fut signalé, vers 6 heures du soir, à Pont-à-Mousson. On crut que l’appareil était piloté par Jeannin.
..Des ovations, des applaudissements éclatèrent — et, quoique en réalité, ces manifestations sympathiques se soient trompées d’adresse, la presse allemande jugera qu’il y a tout de même un écart entre le sort qu’elle promet à nos aviateurs et l’accueil que nous réservons aux siens.
..Cette différence de traitement appellera sans doute de nombreux commentaires.
..Voici comment nous fûmes, hier soir, mis au courant de L’aventure :

De Metz on demande des nouvelles

..A 6 heures trois quarts, la sonnerie du téléphone retentit :
..A 7 heures, la sonnerie du téléphone
..— Allô
..— Allô. — C’est l’Est républicain ?
..— Oui, monsieur.
..— Je suis le major Heller, chargé du service de l’aviation à Metz. — Le capitaine Engelhard, montant un biplan, venant de Trêves, vient de passer au-dessus de la ville, mais au lieu d’atterrir, il a continué sa route et a disparu, filant du côté de la frontière. Vous ne pourriez pas nous dire s’il n’a pas atterri dans les environs de Nancy ?
..— Si, un aéroplane est atterri dans la plaine près de Pompey.
..— L’aviateur est-il sain et sauf ? Et son appareil ?
..— L’aviateur n’a aucun mal, l’appareil non plus» Il pense repartir demain matin pour Metz.

A la recherche de l’aviateur

..Sur quel point, exactement, l’aéroplane étranger avait-il atterri ? On manquait de renseignements. Ou, plutôt, les « tuyaux » étaient contradictoires : les uns parlaient de Bouxières, les autres de Pompey. Mieux valait aller sur place...
..Nous eûmes recours à M. Gustave Gosse, dont les Pic-Pic ont déjà rendu tant de services à nos reporters. En moins d’une demi-heure, nous arrivions aux forges de Pompey.
..M. Cattin, ancien brigadier des douanes, actuellement garde de nuit aux usines Fould, nous informe alors :
..— A six heures, un aéroplane est arrivé Ici. Il volait à une hauteur de 300 mètres. Il s’est dirigé sur Frouard. Une foule énorme, dans les rues, sur le pont, suivait ses évolutions... Après avoir décrit une courbe vers Bouxières, il est remonté jusqu’au confluent de la Meurthe et de la Moselle... mais j’ignore s’il a atterri quelque part... »
..A Frouard, un bicycliste déclare :
— J’ai pu voir l’appareil ; il est dans une prairie, non loin de la ferme de Clévant. C’est un biplan. Il n’a pas l’air d’être abîmé... »
..Cette indication suffit. En cours de route, trois ingénieurs des forges demandent à prendre place dans l’auto. Ils s’offrent pour guider nos investigations, car la nuit est profonde et il semble impossible de découvrir en pleines ténèbres l’aéroplane échoué sans doute en quelque prairie.
..A huit heures et demie, nous atteignons la ferme de Clévant. Le fermier, M. P. Esch, nous reçoit. Dès qu’il connaît le but de notre visite :
..— Le capitaine Engelhard est chez nous, en effet, dit-il... Brisé de fatigue et d’émotion, il allait prendre un peu de repos. Nous avons mis à sa disposition une chambre ; il y passera la nuit... Demain, au point du jour, il se propose de retourner à Metz...
..Tout en parlant ainsi, M. Esch nous conduit dans la vaste pièce qui sert en même temps de laiterie et de salle à manger.
..Un homme est attablé. C’est un solide gaillard d’environ trente-cinq ans, le visage entièrement rasé. De grands yeux bleus éclairent une physionomie intelligente et hardie ; les cheveux sont coupés ras.
..La présentation a lieu. Elle se heurte d’abord à une sérieuse difficulté. L’aviateur ne prononce qu’à peine quelques phrases en français et, par un comble de malchance, nous ignorons totalement la langue de Goethe.
..M. Esch vient à notre secours :
..— Je vous servirai d’interprète. »

interview du capitaine Engelhard

..L’aviateur allemand n’éprouve aucun embarras à répondre. Il satisfait notre curiosité. Nous apprenons qu’il vient de Berlin où il a laissé seule sa femme.
..— J’ai quitté depuis cinq ans mon comman-dement. J’étais capitaine de corvette. L’an dernier, j’ai commencé mes expériences. Le succès m’a encouragé. Le circuit de Trêves-Metz me tentait. Je résolus d’y prendre part.... Un raid de 105 kilomètres est peu de chose, en somme.
..— A quelle heure êtes-vous parti ?
..— A cinq heures. C’était mon premier voyage. J’étais plein de confiance. Un des concurrents du circuit, Jeannin, ayant mis deux heures environ pour couvrir l’étape, j’ai volé pendant cinq quarts d’heure et, en arrivant à Metz, j’ai pensé que j'atteignais seulement Thionville... J’ai donc continué ma route.
..— Comment avez-vous reconnu votre erreur ?
..— En apercevant les hautes cheminées de Frouard et de Pompey... j’ai pensé que j’avais franchi la frontière... Je me suis alors préoccupé de trouver un champ propice à l’atterrissage... J’ai failli me jeter dans les fils aériens sur lesquels glissent les chariots pleins de minerai... Enfin, j’ai remarqué un vaste pâturage. Des animaux y paissaient, sous la garde d’un bouvier... je suis descendu en vol plané, sans incident.
..— N’avez-vous pas été inquiété par la gendarmerie ?
..— Non... Le bouvier a pris soin d’éloigner ses vaches... Il m’a conduit ici... J’ai exposé mon cas... Justement, j’étais parti de Trêves sans argent... Je ne possède pas même le prix d'une chambre... Heureusement, j’ai reçu dans cette maison une touchante hospitalité...
..Mais notre interlocuteur n’est pas complètement rassuré. Il nous demande :
..— Est-ce qu'à Metz on est au courant de l’affaire... Ma femme est dans les transes... J’espère qu'elle sera avertie... Elle est sans nouvelles de moi depuis deux jours...
..Quand il sait que le comité d’aviation, à Metz, a été informé par télégramme des péripéties de son voyage, l’ex-capitaine ne peut contenir sa satisfaction :
..— Je repartirai demain matin, à cinq heures, dit-il...
..Puis, croisant les poignets, comme s’il les tendait aux cabriolets des gendarmes :
— A moins qu’on ne m’arrête... On me fera passer peut-être pour un espion, ajoute-t-il en souriant. »
— Combien d’aviateurs étaient avec vous engagés dans le Circuit ?
— Cinq... J’étais le troisième... Je devais faire le voyage avec un passager ; mais, au dernier moment, j'ai redouté une panne et je suis parti seul. »
..Pendant notre conversation, Gustave Closse s’est rendu sur le lieu d'atterrissage. Il était guidé par un marcaire. Il a examiné de près l'appareil dont il a noté les particularités suivantes :
..L’appareil est un biplan Wright. Le moteur a une puissance de 32 HP. Il porte ces indications: Neue automobil Gessell-schafit MB H Berlin, moto, n° 3,060, type VM, 33 PS, 1,400 HPM.
..Le moteur comprend quatre cylindres séparés avec chemises d’eau rapportées en aluminium Magnéto Bosch, 2 aimants, avec avance commandée, soupapes d’admission automatiques et soupapes d’échappement commandées par culbuteurs, deux hélices actionnées par chaînes.
..Deux petits fauteuils. A droite, le levier pour le gouvernail de profondeur ; à gauche, le levier de direction. Sur le gouvernail, on lit A R n° 1 ; sur le bâti, Fludmaschine Wright, G. M. B. H., Berlin, n° 128 ; sur le caoutchouc des pneumatiques : aéroplanes obersprée 18-3 79382.
..Nous prenons congé de l'officier, qui répète encore :
..— Je suis vraiment heureux d’avoir rencontré en France des gens aussi aimables. (Sic.)
..Un domestique du fermier, M. Esch,nous conduit dans la prairie où repose le biplan Wright, trempé de rosée. Un épais brouillard couvre la vallée. Au loin, les forges de Pompev rougeoient comme une immense fournaise :
..— C’est égal, annonce près de nous un paysan... les Allemands peuvent tranquillement venir chez nous, approcher les forts de Frouard, passer la nuit dans une ferme et s’en aller chez eux sans qu’on leur demande même un sou pour le logement... Nous ne serons pas de sitôt accueillis comme ça dans leur pays... »
..La réflexion du brave homme est plus éloquente en sa simplicité que les commentaires auxquels se livreront demain ceux qui — comme nous le disons plus haut — compareront l’attitude de la Strassburger Post avec le geste généreux du fermier de Clévant.
....................................Achille Liégeois.

P.S. — Au moment de mettre sous presse, nous apprenons, qu’un peloton du 5e hussards aurait été envoyé d'urgence à Clévant. Il est malheureusement trop tard pour pouvoir contrôler ce bruit, mais la nouvelle semble naturelle et il semble plus encore naturel qu’on oblige l’aviateur allemand à repartir par la voie ferrée, étant donnée la proximité des ouvrages stratégiques de la frontière.
(L'EST RÉPUBLICAIN du samedi 1er octobre 1910.)

 

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EPILOGUE D’UN RAID INATTENDU
La pointe en France d’un aviateur allemand
Après un atterrissage heureux et un jour de repos l’aviateur allemand repart mais brise son appareil

A la ferme de Clévant
(De notre envoyé spécial)

..Samedi, cinq heures du matin.
..Quel brouillard ! On le couperait au couteau. Les arbres détachent vaguement leurs silhouettes comme sur une glace sans tain. Par ci, par là, des lanternes piquent une lumière furtive parmi la buée épaisse et froide ; puis une sirène annonce l’approche d’automobiles.
..Le défilé des curieux commence. Quelques Nancéiens ont choisi pour but de promenade matinale la ferme de Clévant, ou, pour être plus exact, le Grand Pré, que la route de Custines et la Meurtbe bordent sur une longueur de onze cents mètres.
..Le Grand Pré est admirablement situé. L’herbe est rase, le sol est peu raboteux. Il forme une vaste étendue, ça et là coupée de ronces artificielles. Grâce à une manœuvre habile, le capitaine Engelhard évita les clôtures et se posa sur la pelouse avec la légèreté d’un oiseau.
..Est-ce à dire que le biplan Wright possède la fine ossature qui distingue la plupart des appareils français ? Assurément non. Pour la construction des cellules, on a employé la peau d’âne, au lieu des fortes toiles Continental ; les tendeurs sont des fils de fer plutôt grossiers ; les montants en sapin sont badigeonnée d’une peinture grisâtre qui leur donne, ainsi qu’aux deux hélices, l’apparence de l’aluminium. Nous sommes loin des Farman, des Sommer, des Voisin dont les ailes frémissent et palpitent comme d’une vie ardente, avide d’espace.
..Autour de l’appareil immobile, la foule grossit. M. Arrighi, commissaire spécial de la gare de Nancy, le brigadier de gendarmerie Maréchal, avec quatre gendarmes, quelques douaniers sont là :
..— J’ai été averti à deux heures du matin, nous déclare M. Arrighi... Mon collègue, M. Ettlicher, était dans la soirée d’hier avec M. Venner, commissaire spécial à Pagny-sur-Moselle, deux officiers de la garnison, un capitaine d’artillerie et un capitaine d’infanterie... Ils ont rendu visite, vers minuit, à l’aviateur allemand. Celui-ci les a informés qu’il avait l’intention de repartir dans la matinée, si l’état atmosphérique le permet...
..— Aucun, incident, demandons-nous, n’est à redouter ?
..— Pas le moindre. Les douaniers des postes prochains sont ici. Ils exigeront le paiement d’une taxe, conformément aux instructions de la circulaire ministérielle concernant l'atterrissage en France d’aéronautes ou d’aviateurs étrangers. Une fois les formalités remplies et l’argent versé, personne n’empêchera le voyageur allemand de continuer sa route.
..— Par la voie aérienne ?
..— Sans doute.
..— Le bruit s’est répandu cependant qu’un peloton de hussarde devait venir ici.
..— Il est probable que l'on a envisagé effectivement le concours de la troupe pour les services d’ordre ; mais la gendarmerie suffira... »
Pendant la nuit, un individu s’est approché du biplan et il a donné un coup de couteau dans le plan inférieur de droite. La déchirure est heureusement sans gravité. N’importe. Une étroite surveillance s’impose.
..M. Esch, Le fermier de Clévant,vient faire — c’est le cas de le dire — le petit tour du propriétaire. Nous lui demandons des nouvelles de son hôte :
..— Il a très bien dormi.
..— Oui. le sommeil des consciences pures... Mais n’éprouve-t-il pas le désir de voir si son appareil a goûté aussi, malgré le froid et la rosée, un aussi bon repos ?
..— Il se propose de venir à huit heures... Il manque d’essence, paraît-il... En tout cas, la brume est épaisse. Il attendra que le soleil éclaire la vallée de la Moselle, avant de reprendre son vol vers Metz.
..Nous étendons sur l’herbe une couverture afin de nous coucher, car une nuit de fatigue et de veille alourdit nos paupières. Moi aussi j’ai droit au sommeil des consciences pures. Une chaude fourrure nous protège contre l’humidité.
..Les curieux considèrent attentivement l'homme couché là :
..— C’est l’aviateur, chuchotent-ils à mi-voix.
..Le brigadier Maréchal accrédite cette confusion :
..— Laissez-le tranquille, messieurs... Eloignez-vous... Après des émotions comme ça, on a besoin d’un peu de calme...
..J’ai peine à contenir, sous ma couverture, une irrésistible envie de rire.

L’aviateur essaie son moteur

..A huit heures et demie, le capitaine Engelhard arrive. II consulte une carte, tout en marchant. M. de Buey, président de l’A.C.L., M. Le lieutenant d’Huart, du 5° hussards, un négociant de notre région, M. Lamy.
—Vous êtes le premier aviateur qui vient en France, lui dit M. Lamy.
— Et je compte aujourd’hui, réplique l’officier, être encore le premier aviateur qui se rendra de France en Allemagne.
..Puis il exprime une vive satisfaction, en constatant qu’un mouvement de sympathie se manifeste autour de lui ; il essuie complaisamment le feu des objectifs photographiques braqués sur lui.

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..Après avoir longuement étudié l'itinéraire, noté la hauteur de Mousson, le promontoire de Vandières, il considère les champs où l’a conduit un heureux hasard.
..— J’ai assez d’espace pour me mouvoir à l’aise, constate le capitaine Engelhard ; mais je voudrais bien savoir ce qu’il y a au-delà du rideau d’arbres qui ferme l’horizon du côté de Custines...
..— Qu’à cela ne tienne... je vous y mènerai en automobile, propose M. Lamy... Et vous nous ferez beaucoup d'honneur en acceptant une invitation à déjeuner, si vous ne repartez pas ce matin.
..— Volontiers... Je vous remercie... Le vent est un peu fort... Mon réservoir est, en outre, presque à sec... Dans ces conditions, je resterai ici jusqu'à

trois ou quatre heures après-midi. »
..Le moteur est-il prêt ? Fonctionnera-t-il parfaitement ? N’aura-t-il point de « ratés » ? L’excursion aérienne ne sera-t-elle pas contrariée par une fâcheuse panne ?
..— Si quelques personnes me prêtent leur aide, dit-il, je vérifierai mon appareil.
..Tout de suite les bonnes volontés s’empressent. Gustave Closse saisit une hélice ; l’aviateur lui donne ses instructions pour la mise en marche et se tient lui-même auprès des quatre cylindres :
..— Attention... une... deux... trois...
..Lancées avec force, les hélices s’animent aussitôt d’un mouvement de rotation tel que le vent de la vitesse décoiffe les spectateurs : chapeaux et casquettes s’envolent. Les explosions sont rapides, régulières. Pas un raté. L’humidité de la nuit n’a rien dérangé :
..— Je suis content, déclare l’ancien capitaine de corvette, qui, suivi d’un long cortège de curieux, revient sur la route, monte en auto et roule vers Nancy.
..Ayant la certitude que le départ se produira seulement dans l’après-midi, M. Arrighi rentre à Nancy, laissant sur place, gendarmes et douaniers pour veiller sur le biplan Wright.

0 administration...

..A onze heures du matin, M. Bovier-Lapierre, secrétaire général de la préfecture, s’est rendu en voiture à l’ « aérodrome » de Clévant.
..En l’absence de l’aviateur, il a annoncé qu’il reviendrait à trois heures après-midi.
..Quelles instructions a reçues M. Bovier-Lapierre ? L’émotion a-t-elle gagné ce qu’une image hardie appelle les hautes sphères ? Nous ne tarderons pas à être fixé sur ce point.
..Les douanes, plus avares que le sinistre Achéron, ne lâchent point leur proie. Elles ont préparé une facture où s’énumèrent les objets soumis aux taxes de la frontière : tant pour le caoutchouc, tant pour le cuivre, tant pour le moteur, tant pour ceci et pour cela... Bref, le capitaine Engelhard est menacé d’un mémoire d’apothicaire :
..— Payez rubis sur l’ongle... ou sinon, le moindre mal auquel vous êtes exposé, monsieur, c’est la pure et simple confiscation de votre machine. »
..Notre hôte imprévu avait oublié à Trêves son portefeuille ; mais, à ce qu’on nous a dit, l’Aéro-Club a consigné en son nom une somme de 200 francs.
..S’il prenait fantaisie, par hasard, à l'aviateur d’en solliciter le remboursement avant de franchir de nouveau la frontière, serait-il donc obligé de stopper devant le bureau de Pagny-sur-Moselle ?

Ne serait-ce pas un pari ?

..A propos de l’ « impécuniosité » du capitaine Engelhard un fonctionnaire exprimait cette opinion :
..— A mon avis, il s’agit d’un pari... L’officier allemand s’est engagé à venir en France, sans argent et sans papiers d’identité... Il tient parole... Nous serions vraiment trop naïfs de couper » dans les histoires qu’il raconte... On n’a pas idée d’un voyageur qui s’embarque le gousset vide pour une randonnée comme celle-là... On n’imagine pas davantage un ancien marin, familiarisé avec la boussole et les cartes, qui s’égare sur une distance de 100 kilomètres et confond Thionville avec Metz...»
..Tels sont les sentiments dont nous avons recueilli fidèlement les échos : la douane demande de l’argent ; l’administration se montre sceptique et la préfecture attend les instructions du gouvernement.
..Les premières difficultés sont déjà aplanies ; nous ne croyons pas qu’il en surgisse d’autres susceptibles, au dernier moment, de contrarier les projets du capitaine Engelhard.

Le capitaine Engelhard s’est rendu à Metz

..A dix heures du matin, le capitaine Engelhard, ayant pris place sur la Pic-Pic de M. Lamy s’est rendu à Metz, afin de s’entretenir quelques instants avec le comité d’aviation.
..Les deux excursionnistes ont été reçus par le président de l’Aéro-Club impérial, M. Viehler, qui a remercié chaleureusement M. Closse pour ses bons offices. Des officiers sont venus à leur tour, prodiguant les félicitations :
..— Nous espérons que la réception dont le capitaine Engelhard a été l’objet marquera une date dans les relations entre les aviateurs de tous pays... »
..Faisant allusion à l’article de la Strass-burger Post, ils ajoutèrent textuellement :
..« — Nous n’avons connu les propos tenus à l’égard de la France que longtemps après leur publication ; on ne peut rendre responsable de ces paroles la nation allemande. »
..Mme Engelhard était venue le matin même en automobile de Trêves à Metz.
..A la nouvelle que son mari était sain et sauf, que son appareil n’était pas le moins du monde endommagé, elle est repartie pour Trêves.
..M. Lamy et l’aviateur allemand sont revenus à Nancy et, sur le coup de trois heures, ils déjeunaient (!) enfin à la brasserie Viennoise.

Avant le départ

..Bouxières, 4 heures 10 soir.
..La foule n’a cessé de stationner au Grand-Pré. La gendarmerie de Pompey et de Frouard maintenait l’ordre. Automobiles et bicyclettes amenaient à chaque instant de nouveaux curieux.
..Le capitaine Engelhard est attendu avec impatience. On signale à 4 heures précises son arrivée. Il échange des saluts avec les personnalités présentes, puis il vérifie les divers organes de son appareil.
..L’hélice est mise en marche.
..L’aviateur décide d’expérimenter le fonctionnement de son moteur pendant une vingtaine de minutes, afin, dit-il, d’être absolument sûr du rendement.
..Des ouvriers s’offrent pour un « coup de main » ; les uns sont cramponnés au gouvernail ; les autres retiennent chaque extrémité des ailes.
..Le capitaine Engelhard s’assied sur le petit siège drapé d’étoffe brune. Il est plein de confiance, malgré la situation critique de l'appareil « encaissé » dans une prairie que barrent les arbres de la berge de la Meurthe...
..Tout est prêt pour le départ.

Les adieux

..Au nombre des personnalités officielles, nous notons M. Boutroue, chef du cabinet, et M. Bovier-Lapierre, secrétaire général de la préfecture ; M. Brisson, directeur des postes, etc..
..Le biplan a été enlevé du champ où il était échoué ; il est maintenant à l’extrémité d’une prairie qui lui permettra de rouler au besoin pendant deux cents mètres avant de s’élever.
..Un incident se produit.
..Le lieutenant des douanes présente sa note. Elle s’élève à 147 fr. 15. Il explique au contribuable tombé du ciel que, pour être remboursé, il devra se présenter a l'un des postes de la frontière franco-allemande.
..La scène séduit par son originalité les photographes qui en notent les moindres détails.
..C’est au prix des plus grandes difficultés que la gendarmerie à cheval parvint à dégager l’appareil entouré par une multitude où, par instants, éclatent des protestations :
..— Je serais content qu’il s’en aille faire du trapèze dans les arbres...
..— Dire que la police le protège !
..— Il a voulu voir de près nos forts... On devrait l’arrêter.
..— Si je le rencontrais dans un coin...
..— Un Français, à sa place, aurait été reçu en Allemagne à coups de fusil...
..L’hostilité gronde. Des ouvriers échangent des propos agressifs ; d'autres expriment à haute voix le vœu que « ce type-là se casse la figure » ; d’autres encore parlent des Prussiens en termes plutôt irrévérencieux.
..Par contre, nous entendons aussi certaines paroles qui résument clairement la moralité de cette aventure :
..— Nous avons le mépris des provocations insolentes. La France donne ici une leçon de courtoisie et de dignité. La leçon, ne sera pas perdue. Quant à égaler les prouesses des Leblanc et des Legagneux, ah ! pour ça, non...
..Cette réflexion est juste. Tandis qu’en effet Legagneux, gavroche spirituel, vrai moineau de Paris, gouaillait, badinait, se lançait dans l’espace, avec un calembour ou une chanson aux lèvres, le capitaine Engelhard, resta grave, sérieux, solennel et morne :
..— II a l’air de porter le diable en terre, s’exclamaient les curieux.
..Etait-ce l’obsession d'un fâcheux présage ? Manquait-il subitement de confiance en soi-même ? La pensée qu’à ce moment les yeux fixés sur la destinée de l’aviation allemande trahissaient l’anxiété de la victoire ou d’un échec troublait-elle alors son cerveau ?
..Je parvins à approcher l’aviateur. Je lui présentai une feuille de mon bloc-notes pour que, précisément, un aveu tombât de sa plume. J’avais l’espoir de saisir le secret de son attitude grave, presque mélancolique.
..Il traça en allemand une phrase qui me fut immédiatement traduite :
..— « Je suis très heureux, dans cette occasion, d’avoir appris que le progrès n’a pas de patrie. Nancy, 1er octobre 1910. Signé : Engelhard. »
..Ainsi le concurrent du circuit Trêves-Metz n’avait entendu ni les colères, ni les méchancetés ; il n’avait retenu, décidément, de son court séjour à la ferme de Clévant, que les témoignages de sympathie, les encouragements, les vœux de succès. Au fond, cela valait mieux, peut-être, car une leçon allait bientôt frapper cruellement l’orgueil de nos voisins.
..Deux nouveaux essais du moteur ont lieu encore. Satisfait, l'aviateur se porte à la rencontre des personnes dont il avait apprécié les services et le dévouement.
C’est l’instant des adieux.

La chute

..4 heures 45.
Comme il avait fait déjà le matin, M. Gustave Closse et son jeune frère lancent les hélices qui tournent, tournent, avec une vertigineuse rapidité. Un mécanicien règle les derniers préparatifs ; il fait un signe : Lâchez tout ! et, soudain, le biplan, libre et léger, file sur le gazon qu’il semble à peine effleurer.
..Hélas ! au bout de trente mètres, le capitaine Engelhard sent que le moteur ne rend pas à son gré. Il coupe l’allumage.
..L’appareil s’arrête. Dans la cohue qui se produit, des hou ! hou ! éclatent. La foule rompt les barrages, se précipite comme un torrent humain dans une effroyable bousculade :
..— Nous allons le ramener au point de départ, disent les mécaniciens.
..— Dégagez vite le terrain, ordonnent les gendarmes.
..Docilement, la foule forme une double haie :
..— Au temps pour les crosses, lance un loustic !
..De nouveau, les hélices sont remises en mouvement. Les pistons tapent ferme, secouant l’ossature du biplan :
..— Lâchez tout !
..Un geste des mécaniciens ouvre devant l’oiseau artificiel les domaines de l’air ; les ailes glissent, toutes blanches, agiles, sûres de l’essor, se soulèvent bientôt, le capitaine Engelhard est parti.

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..Le spectacle est beau, impressionnant. Nous oublions la race de l’homme qui s’affranchit ainsi des lois de la nature, qui prend possession de l’espace. Les hostilités autour de nous, semblent apaisées, vaincues ; les huées se taisent comme par enchantement.
..L’aviateur pique droit vers la ligne d’arbres au-dessus desquels, là-bas, les hautes cheminées déroulent leurs panaches de suie :
..— Passera !
..— Passera pas !
..Eh bien ! non, il ne passera pas. L'appareil plane à vingt mètres de hauteur. Tout à coup, ses hélices cessent de tourner, il tangue comme une barque sur les vagues, décrit une violente embardée vers le château de Clévant.
..La chute est rapide. L’aile droite touche le sol. Un craquement. Le pilote, sur son siège, assiste, blême d’émotion, au désastre. Fils tordue, montants brisée, toiles déchirées, châssis et roues faussées condamnent à l’immobilité l’oiseau qui s’élançait vers le ciel.

Des larmes

..Une bande de gamins saute, court, crie. Elle environne l'appareil en débris. L’un arrache un morceau de toile ; l’autre s’empare d’un éclat de bois — autant de souvenirs !
..Deux médecins-majors de la garnison de Nancy, qui ont assisté à l’accident, se portent vivement au secours ; ils éprouvent une joie sincère en constatant que la chute a seulement occasionné des dégâts matériels.
..Nous abordons l’aviateur :
— C'est fini... Je n’ai aucun mal ; mais je renonce à mon voyage... On va démonter mon malheureux biplan. Lundi, il sera expédié à Berlin par la gare de Champigneulles... Quant à moi, je partirai ce soir pour Trêves, par le train de 7 heures 10. »
..Le capitaine Engelhard s’efforce de maîtriser son émotion ; il presse nerveusement, son mouchoir entre ses doigts. Des larmes mouillent ses joues.

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..La nuit vient. La foule se disperse, pendant que les mécaniciens hâtent les opérations du démontage — et rien n’est triste comme l’agonie du soleil sur ce champ où gisent tant d'ambitions détruites, tant d’espoirs humiliés, tant de rêves frappés à mort.
.................................................................................................Achille Liégeois.

 

Clôtures tragique du circuit
Trêves-Metz
Chute mortelle d’un aviateur

..Metz, samedi soir, 5 h. 10.
..Le dernier jour d’aviation, du circuit Trêves-Metz vient d'être marqué par un accident mortel.
..A 4 h. 59 — c'est-à-dire une minute avant la clôture officielle — l’aviateur Haas s’élevait pour prendre la direction de Metz. Près de Thionville, à Wellein, il a fait une chute et s’est tué net. Son appareil a été brisé.

Le prix de Metz

..C’est l’Alsacien Jeannin qui remporte le premier prix de la ville de Metz (sans escale avec passager).

(L'EST RÉPUBLICAIN du dimanche 2 octobre 1910.)

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Le 29 septembre 1911, il s'écrase lors d'un vol d'entraînement avec un avion à deux étages.
Le «..sixième jour de la semaine d'aviation nationale à Johannisthal fut un jour de malheur pour l'aviation allemande. L'un de nos meilleurs pilotes, le capitaine de vaisseau Engelhard, fit une chute si malheureuse que, transporté griévement blessé à l'ambulance, il y expira peu après.»(3)
« Bien que le temps fût peu favorable et que la pluie menaçât, plusieur aviateurs s'était élevés dans les airs, entre autres, le captaine Engelhard, qui emmenait sur son biplan Wright, un passager, M. Sedelmayer. »(4)
« Il avait pris le départ à 3 h. 21m. et volait très bas, mais, pour éviter la violence des remous, il prit un peu de hauteur. A 4 h. 26 m., on vit l'appareil tanguer fortement ; une hélice venait de se détacher. L'appareil capota et vint s'abîmer sur le sol, ensevelissant sous ses débris les deux passagers.»(5)
« On se porta aussitôt au secours des malheureux aviateurs. Tous deux gisaient, couverts de sang, au milieu des débris du biplan.
..Engelhard, la poitrine écrasée par le moteur, fut transporté à l'ambulance, où il expira au bout de quelques instants sans avoir repris connaissance.
..M. Seldelmayer est dans un état désespéré.»(6)
D'autres récits disent que M. Sedelmayer était légèrement blessé.
Engelhard était âgé de quarante-trois ans.
Il est enterré au Riensberger Friedhof à Brême.

 

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© Photographies :
Browse The Wright Brothers Photograh Collection
(https://corescholar.libraries.wright.edu/special_ms1_photographs)

 

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Sources :
(1) wikipedia
(2) Le Messin du lundi 21 février 1910.
(3) National Zeitung du 29 septembre 1911
(4) Le Messin du 2 octobre 1911
(5) Les martyrs de l'aviation, Roger Dépagniat, E. Basset et Cie, Paris 1912, page 312.
(6) Le Messin du 2 octobre 1911

 

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