En septembre 1909, dans le cadre de l'Exposition de Nancy, s'ouvre un congrès aéronautique donnant lieu à des départs de vols en ballons. Parmi les pilotes est présente Marie Marvingt, pionnière de l'aviation. Grande sportive, née le 20 février 1875 à Aurillac, dans le Cantal, elle s'établit à Nancy au n°8 de la place Carrière. Elle décédera à Laxou le 14 décembre 1963.
Gonflage de ballon dans le parc de la Pépinière de Nancy.
@ Collection Jean-Luc GOURET
Le jeudi 23 septembre 1909, à l'intérieur du parc de la Pépinière, dans le cadre d'un concours de ballon libre, Mlle Marvingt se prépare pour un vol, qui, comme à chaque fois, ne dépendra que de la bonne volonté du vent. Cinq autres ballons d'un volume moyen de 800 m3 doivent également partir, le gonflement des ballons débute à 9 h. du matin, chaque ballon emmène son pilote et un passager. Tout cela se déroule derrière une enceinte palissée, pour entrer il faut payer 2 francs, pour rester au pourtour le prix est de 50 centimes. Des officiels sont présents dont des délégués des divers ministères, des Travaux publics, de la Guerre, de la marine, etc.., ainsi que des délégués des gouvernements belge, anglais, américains et italien.
Le départ à lieu vers 17 h. Après un vol de 20 h. elle atterrit avec son coéquipier près de Karlsruhe en Allemagne. Elle est 1ère pour le vol de plus longue durée mais 4ème pour la distance parcourue.
Nancy, site de la Chiennerie pour les départs de dirigeables, avions et ballons.
@ Collection Jean-Luc GOURET
Nouveau départ le dimanche 10 octobre 1909 du parc de la chiennerie, vers 9 h. et demie, Mlle Marvingt s'envole en ballon libre avec 2 passagers. Ils atterriront le même jour dans la soirée à Vitry-le-François.
Le mardi 19 octobre vers 10 h., c'est au tour de MM. Masson, de Charmes et Richard, directeur des verreries de Portieux, de quitter le sol dans le ballon de Marie Marvingt.*
* *Le mardi 26 octobre, par un temps frais et avec « une brise aimable », elle décolle de la Chiennerie, avec M. Garnier, et s'éloignent en direction de Metz.
Les habitants du bassin de Pompey peuvent apercevoir un ballon glisser dans les airs, longeant le cours de la Meurthe puis de la Moselle. Dans un de ses récits de cette épopée, Marie Marvingt déclarera avoir aperçu, depuis son poste d'observation, les feux des Forges de Pompey.
Curiosité touristique ? Ces gens qui vaquent à leurs tâches quotidiennes, ne s'imaginent pas que dans la nacelle de ce ballon, Marie Marvingt et monsieur E. Garnier, viennent de quitter le sol Nancéien pour un très long et périlleux voyage.
Gonflage du ballon dans le parc de la Pépinière de Nancy.
@ Collection Jean-Luc GOURET
En voici le récit paru dans la revue L'Aérophile(1) du 1er janvier 1910.
... « Comme notre départ n’a pas été annoncé, quelques rares amis seulement assistent au gonflement de L’Étoile-Filante. La matinée est belle et une assez forte brise, pourtant du Nord, nous fait espérer un intéressant voyage .
...Je vais enfin éviter la déjà traditionnelle envolée sur Château-Salins. C’est M. Louis de Brabois qui se charge de la délicate opération du pesage. A 11 h. 7, au moment du « lâchez-tout », M. Mercier, l’oncle de mon passager, M. E. Garnier, dont c’est le baptême de l’air, prend quelques clichés du départ.
Gonflage du ballon dans le parc de la Pépinière de Nancy.
@ Collection Jean-Luc GOURET
...Nous nous envolons franchement et je m’équilibre à 900 m. ; nous passons au-dessus de Laxou, Champigneulles, Bellefontaine, Frouard. A Custines, nous planons sur un océan de nuages dont les vagues moelleuses moutonnent à perte de vue. Au-dessus de notre sphère d'or, le bleu est d’une pureté captivante.
...Pendant que je surveille mes appareils, mon passager lit la carte ; à travers deux grandes trouées, telles de gigantesques lunettes, apparaissent Pont-à-Mousson et Mousson. Vers midi, nous traversons la Seille frontière, juste au-dessus du pont de Cheminot ; au-dessous de nous, dans le nuage, nous admirons l’ombre du ballon, auréolé du cercle irisé, cher aux aéronautes. A midi 35, nous franchissons la Moselle et brûlons les arches de Jouy ; à perte de vue, serpentant sous le soleil, l'onde du fleuve lorrain est d’argent.
Gonflage du ballon dans le parc de la Pépinière de Nancy.
@ Collection Jean-Luc GOURET
...Ars et ses forges grondent, s’agitent, travaillent ; à droite, dans la grande plaine déserte de Frescaty, se dresse le nid colossal du Zeppelin. Nous passons à l'ouest de Metz et les nuages se déchirent, nous pouvons admirer la vieille cathédrale ; c’est avec une vraie joie que je contemple, du ballon, la cité messine, que j'ai habitée pendant 10 ans.
...Nous dominons ensuite tous les champs de bataille de Gravelotte à Saint-Privat ; ici se produit une première condensation qui me coûte un peu de lest. Nous somme à Briey à 1 h. 1/2, par 700 m. d’altitude. Notre allure n'est pas très vite, nous faisons une moyenne de 24 kil. à l’heure. A 2 h. 3/4, nouvelle condensation, au-dessus de Redange ; un peu de poudre d'or au vent et nous nous équilibrons à 1.000 m. A 3 h. 1/2, plus de terre : nous voguons 20 minutes dans un nuage laiteux, puis reconnaissons Dipparck. La région du Luxembourg, que nous traversons, est des plus pittoresques : châteaux, donjons, bois aux tons de rouille, retiennent notre admiration.
...A cinq heures moins le quart, nous jouissons de l'inoubliable panorama de Diekirch. Une forteresse que l'on dirait d'enfant, domine à droite toute la ville qui s'illumine. Un grand ruban de voie ferrée contre lequel glisse la Sure, borde tout l'ouest de l'élégante cité. Dans cette teinte crépusculaire les grandes cheminées, où se reflètent les feux électriques, donnent à cette ville un cachet très spécial. Diekirch forme un des groupements les plus artistiques que j'ai jamais admiré d'en haut.
Installation des deux passagers dans la nacelle.
@ Collection Jean-Luc GOURET...Toujours au nord nous poursuivons notre vol ; dans le lointain, je reconnais à notre droite la sombre pyramide, où scintillent quelques lumières, que forment Vianden et les ruines pittoresques de son château. Nous passons à 5 h. 1/2 au-dessus de deux assez grandes agglomérations, qui doivent être Spa et Verviers. Il fait nuit et la rapidité de notre course augmente. En quelques minutes, à 400 m. d’altitude, à 6 h. 1/4, nous traversons la ville immense d’Aix-la-Chapelle et passons à droite de la Cathédrale. Pendant que nous collationnons, nous franchissons le Rhin et, après une demi-heure de vol extrêmement rapide, une immense usine que nous reconnaissons, à ses colossales cheminées, pour la fameuse fonderie de canons Krupp, à Essen.
Immortalisation de l'événement, départ pour ... où ?
@Collection Jean-Luc GOURET
...Puis, nous traversons la Lippe ; la vitesse de la soufflée augmente encore. Nous sommes à 300 m. et nous brûlons des petits pays à une allure folle. Vers 7 h., nous interpellons des gens ; ils nous répondent en hollandais que nous sommes aux environs d’Enschede. A ce moment précis, où je songeais à l’atterrissage forcé et prochain, nous changeons complètement de direction, la boussole indique franchement l’ouest. J’expose la situation à M. Garnier et lui propose de tenter la traversée de la mer du Nord. Ayant beaucoup navigué à la voile, dans ces régions, je sais que quand on a le plein vent d’est, on est à peu près, porté vers l’Angleterre, et que l’on a rarement des courants contraires. Notre allure est toujours vertigineuse.
*
* *...A peine avons-nous résolu de tenter la traversée maritime que nous arrivons à une immense étendue d’eau qui doit être la partie sud du Zuyderzée. Des vagues déferlent au-dessus des digues. A notre gauche, une grande ville, toute scintillante, est sûrement Amsterdam ; il est 7 h. 50. La nuit est sombre mais belle : nous avons encore cinq sacs de lest et c’est avec pleine confiance dans le succès que j’entreprends la traversée.
...En quittant le Zuyderzée, nous passons au-dessus des immenses taches grises des polders, où nous entendons des cris d’oiseaux de mer ; puis, nous arrivons sur une seconde étendue d’eau, moins large, qui doit être le canal de l’Y. Vingt minutes après, nous sommes au-dessus des phares ; sans la moindre émotion, nous voyons s’éloigner leurs feux multicolores et tournoyants. Il est 8 h. 1/4 ; à peine arrivés sur la mer du Nord, une condensation se produit et notre guiderope effleure l’eau pendant un moment. La mer est assez forte. Je déleste, nous remontons et ne voyons bientôt plus aucune lumière ; seule, la clarté électrique de L'Étoile Filante demeure. Pas la moindre lune, tant espérée, tant désirée.
Prêt pour le lâcher ? - @ Collection Jean-Luc GOURET
...Le ballon ayant refait son plein, j’ai peu dépensé de lest depuis la côte. Hélas ! vers 9 heures, au grand large, tout change : la température s’abaisse rapidement. Presque subitement, je constate que le verre du baromètre enregistreur se recouvre de glace, les cordes humides de la nacelle sont déjà gelées. Malgré nos fourrures nous avons très froid ; je grelotte si fort qu’à un moment M. Garnier croit guideroper et nous sommes à 1.600 m. d’altitude. Puis, lentement, comme on plein hiver, la neige tombe ; à travers la lueur de la lampe électrique, je vois même quelques aiguilles de glace dans l’air, symptômes précurseurs de l’orage. Bientôt nos fourrures blanchissent et le ballon très rapidement descend de ses 1.600 m. Un sac de lest ne parvient pas à enrayer cette chute ; surchargés par la neige, nous arrivons à une vingtaine de mètres de la mer, nous guideropons. Mais, cette fois, les vagues énormes, furieuses, impriment à notre nacelle, par l’intermédiaire du guiderope, un fort mouvement de roulis. Allons-nous déjà prendre contact avec le flot ? Je jette encore du sable et nous repartons pour 1.700 m. ; la neige continue à tomber et le statoscope accuse une nouvelle descente presque immédiate. Une troisième fois, le chanvre de notre guiderope fait un son mat en tombant à la mer.
...Les flocons blancs voltigent toujours et nous font envisager le moment prochain où nos sacs seront épuisés. La tempête continue, je vide notre dernier sac, l’aiguille du statoscope tourne lentement à droite, celle du baromètre s’arrête à 2.200. il est 10 heures. Au sommet de cette montée, à bout de lest, je songe à assurer quelque flottabilité à la nacelle. Je sors de leur filet les bâches, qui, mouillées, nous déséquilibreraient ; je décroche l’ancre et la corde d'ancre. Nous descendons de nos 2.400 m. avec une rapidité vertigineuse ; je jette les bâches par-dessus le bord, mais nous remontons très peu. Une pluie torrentielle succède à la neige, nous sommes inondés. Toujours aucune lueur ; seuls, quelques lointains éclairs illuminent l’horizon.
...Soudain, une secousse plus violente agite la nacelle, nous guideropons de nouveau ; à quelques mètres de nous, la mer mugit, écume, nous guette. La tempête est superbe, le grandiose spectacle des éléments déchaînés nous remplit d’admiration et ne nous effraie pas. Cependant, tous nos agrès sont engloutis, il ne nous reste plus que l’ancre ; nos cinq sacs de lest qui auraient été suffisants s’il n’avait pas neigé, n’ont duré que deux heures et quart et nous sommes toujours dans le désert marin. Le titre de « fiancée du danger » dont m'a si joliment baptisée un vieil ami, me revient à la mémoire. Qui de nous deux sera vainqueur ? Ayant, maintes fois, vu ce.. fiancé d'aussi près, je ne perds pas confiance.
...D’après mon conseil, M. Garnier jette à la mer notre dernier lest : notre ancre va dormir à jamais sous les flots ! Le guiderope s’arrache à la vague et nous partons pour notre dernière ascension ; le statoscope, que j’ai cependant protégé, ne fonctionne plus, l’aiguille du baromètre monte très droit et s’arrête à 2.600 m.
...A cette altitude, le terrible grondement des flots éloignés s’est éteint et Phébé, que nous avons tant désirée, nous apparaît à travers des tulles épais. J’écris quelques mots sur mon livre de bord, mais notre envol, loin de la tempête visible, dure peu et notre dernière descente est aussi rapide que la montée. Fini le voyage aérien ! A nous la mer, à nous la lutte, car nous sommes bien décidés à nous défendre avec énergie. Le guiderope touche la mer de plus en plus démontée, il est onze heures et demie. Nous consultons une dernière fois la boussole qui indique toujours l’excellente direction plein ouest ; si L’Étoile Filante veut lutter avec nous, nous gagnerons sûrement les côtes anglaises. Nous sommes dans la main de Dieu, nous n’avons plus qu’à attendre sa décision. Nous ne laissons pas à l’onde froide la joie d’éteindre notre veilleuse ; nous nous rapprochons de plus en plus de la mer qui nous convoite. A l’arrière, notre guiderope trace un long sillon argenté dans le flot bouillonnant.
...Dans quelques instants nous allons connaître l’étreinte de la vague. Je donne à M. Garnier quelques instructions indispensables pour l’atterrissage, dans le cas où, seule, je serais arrachée de notre esquif. Malgré la gravité du moment, nous attendons impassibles, tapis au fond de la nacelle, nous tenant aux cordages.
...Attention ! voilà le flot, un flot énorme de plus de dix mètres, qui arrive et se brise sur nous ; sa première caresse est plutôt brutale. Violemment, il nous arrache feutre et passe-montagne ; sous l'eau qui s'écroule, une pluie d'étincelles jaillit autour de l’osier qui crie. Nous nous rejetons en arrière pour redresser la nacelle, le guiderope rétablit L’équilibre et le ballon s’élève à quelques mètres de l’onde salée ; pour peu de temps, d'ailleurs, deux minutes à peine s’écoulent et nous sommes de nouveau submergés. Le paquet de mer, cette fois, a brisé la glace du baromètre, qui tombe derrière nous.
...Soudain, à notre gauche, un feu rouge lointain apparaît : c’est une barque de pèche qui fuit sous la tempête, mais dans l’ombre, ils ne doivent même pas nous apercevoir. Sans nous lasser, nous luttons avec énergie, sans cesser d’admirer la splendeur de ces montagnes mouvantes et phosphorescentes. Après une demi-heure de combat, nous sommes habitués à parer les coups ; toutes les deux minutes, nous disparaissons sous la vague et jusqu’à la suivante, nous remontons un peu. Mais la moindre inattention pourrait nous perdre : nous devons nous cramponner solidement aux cordes pour ne pas être emportés.
...Voilà plus d'une heure que les vagues, qui arrivent toujours immenses, nous fouettent, nous brise, nous secouent, heurtent violemment nos têtes contre l’osier. Mais nous veillons. Mon compagnon est admirable : pas une seconde il ne se départit de son sang-froid, ni de son calme ; malgré le danger, il ne perd pas confiance. La lutte étant violente, la réaction est vive et malgré nos vêtements mouillés, nous n’avons pas trop froid.
...Vers minuit et demie, à environ quinze mètres de nous, passe dans l’ombre une ombre gigantesque, tel un vaisseau fantôme avec des ailes de géant. Nos allures sont tellement vertigineuses que le feu arrière du voilier n'est bientôt plus qu’une toute petite étoile très lointaine. Puis, plus rien. Quelle doit-être l’impression de ces pêcheurs qui jetaient des cris terribles en voyant passer notre sphère ? N’ont-ils pas redouté la collision qui aurait été terrible ?...
...Trois feux énormes surgissent dans l’ombre, serait-ce la côte ? L’allure toujours plus rapide du ballon nous permet de reconnaître vite, entre l’assaut de deux vagues, des bouées qui, sans doute, signaient un écueil. Puis, très loin, dans la même direction, passe, tel un bolide, la longue traînée lumineuse d’un transatlantique. Comme le voilier, il disparaît dans les ténèbres.
...Tout à coup, un astre d’or embrase l’horizon ! Cette fois, c’est bien un phare et nous allons droit vers lui. Sauvés ! Très vite, il grossit et nous distinguons ses projections tournantes. Pendant environ trois quarts d’heure nous le voyons ainsi de loin. Nous redoublons d’énergie sous la tempête inlassable.
poussé par le vent ...
@ Collection Jean-Luc GOURET...Vers une heure et demie du matin, je m’écrie : Terre ! l’Angleterre ! ! Doutant d’abord, M. Garnier reconnaît que, cette fois, nous touchons à la victoire ; mais notre allure est toujours aussi vertigineuse, nous faisons au moins du 80 à l’heure et devant nous se dessine une falaise. Échappant à la vague, allons-nous nous briser contre elle ? Lorsque nous arrivons à la plage, le guiderope quittant l’eau, nous faisons un bond de 100 mètres et franchissons l’obstacle sans difficulté. J'avais, d’ailleurs, encore nos fourrures mouillées qui nous auraient suffisamment délestés. Comme le terrain est propice, je songe tout de suite à l’atterrissage.
...Je préviens M. Garnier que le choc sera violent, qu'il doit se suspendre au cercle de charge. Je tire la soupape qui fonctionne difficilement ; notre vitesse est effrayante, mais, Comme nous sommes très près du sol, vigoureusement je tire la corde du panneau de déchirure. Impossible de l’avoir ; saturée d’eau, elle doit former une bouclette à l’intérieur du coulant de bois. Je tire toujours en vain, lorsque, brusquement, le fond de la nacelle s’arrêtant dans un arbre, celle-ci se retourne presque et me fait faire un vrai plongeon, la tête en avant, dans un buisson. Dans ma chute, mon émotion est grande en voyant repartir le ballon et en songeant au sort de mon passager (que la presse, mal renseignée, m’a accusée injustement, dans la suite, d’avoir volontairement abandonné). Heureusement, très dégonflé, l'aérostat ne pourra aller loin.
...Non sans difficulté, je me dégage des ronces et des épines ; dans ma chevelure mouillée et flottante s’enchevêtrent les genêts et les sapins ; transie, grelottante, dans l’ombre, sous une pluie diluvienne, je vais dans la direction où est parti le ballon. Le sol est marécageux, j’avance difficilement. A environ deux cents mètres, je suis arrêtée par un cours d’eau que la tempête a transformé en torrent ; le passer à la nage, vu le courant, serait folie.
...A regret, je reviens sur mes pas et arrive à l'endroit où la nacelle s’est renversée. Je défais ma cravate et l'attache, comme point de repère, à l’arbre qui a arrêté le ballon.
...Le phare, que nous voyions de la mer, à notre gauche, était proche et le pays ne peut être loin. Sous la pluie et le vent, qui me renverse presque, je longe une route, recouverte d’au moins dix centimètres d’eau, bordée d’arbres et de pâturages. La campagne est déserte, mais après un kilomètre environ, j’aperçois des maisons ; de nombreux petits cottages anglais, à un étage, bordés de jardins, sont alignés dans l’ombre.
Relevé du trajet parcouru. L'Aérophile du 1er janvier 1910 [source : Gallica]
...A une fenêtre, je vois de la lumière, au même moment passe un cycliste ; immédiatement, je l'interpelle. Son effarement est grand lorsqu’à la lueur de sa lanterne, il reconnaît une silhouette féminine et quelle silhouette ! !... En quelques mots d’anglais, je le mets au courant de mon voyage aéromaritime, qui lui explique vite l’état de mon costume. Tout à fait ahuri, il commence par m’apprendre que les transatlantiques mettent onze heures et demie pour venir de Hollande et nous n’avons été que cinq heures pour faire ces deux cents kilomètres de mer... Mais il me dit aussi qu’il ne se souvient pas avoir vu une pareille tempête depuis longtemps. Il me fait entrer dans une maison voisine, où trois charmantes Anglaises, mises au courant de ma traversée, s’empressent autour de moi.
...Mais, tout d’abord, je songe à M. Garnier. Toujours grelottante et ne pouvant retourner à sa recherche, je donne des indications pour qu’immédiatement l’on s’occupe de le retrouver. Je désigne la cravate comme point de repère.
...Puis, je change de vêtements et me sèche près d’un grand feu qui me fait vite oublier les frissons récents. Il est deux heures et quart et je vis des minutes interminables d’inquiétude et d’angoisse : que se passe-t-il là-bas, au delà de la falaise ? C’est pour moi le moment le plus pénible de notre aventure. Enfin, vers 4 heures du matin, un brave policeman revient, rapportant ma cravate, mais il est seul... Voyant l’anxiété de mon regard, il me rassure immédiatement en me disant que mon voyageur est sain et sauf. Quelle joie ! Puis il m’apprend que le ballon, solidement amarré, est sous la garde d’un autre policeman .
...Vers 4 h. 45 du matin, M. Garnier me rejoint tout heureux, ayant, de son côté, eu de vraies inquiétudes au sujet de mon si brusque et involontaire départ de la nacelle. Il me raconte son atterrissage à quelque distance du mien, dans un chêne ; le panneau de déchirure ayant continué à ne pas fonctionner, il était tombée de branche en branche, sur le sol, ne se faisant que de légères contusions.
...Nos aimables hôtes lui offrent une chambre, on lui donne des vêtements secs et en lunchant de grand matin, c’est avec une vraie joie que nous revivons cette nuit unique, rempli d’impressions saines et profondes, dont nous gardons tous deux le plus intéressant souvenir. »
.....................................................................................Marie MARVINGT
*
* *