par Marilyn et Véronique Maria Manzoni
L'évocation de l'histoire de Pompey et de sa population comprend inévitablement un volet sur l'immigration, lié à la transformation progressive du petit village lorrain implanté au confluent de la Meurthe et de la Moselle en site industriel d'envergure et à sa "gourmandise" de main d'œuvre . C'est un chapitre que nous connaissons bien, pour être issues d'une famille mixte franco-italienne, et dont nous souhaitons partager quelques souvenirs personnels.
A 600 mètres d'altitude, au pied du mont Luria et au creux d'une fort belle et verdoyante vallée alpine,
entre le lac de Lugano et le lac de Côme, San Fedele Intelvi.
Nos grand-parents paternels, Luigi et Olga, arrivèrent à Pompey en 1921, en provenance d'un petit village du Nord de l'Italie, situé dans une vallée proche du lac de Côme. |
Ils étaient mariés depuis quelques années et avaient déjà deux enfants en bas âge, une fillette de deux ans et un petit garçon d'un an, notre père. Tous les deux quittèrent non seulement leurs grandes fratries respectives - phénomène démographique courant à l'époque -, mais également une Italie encore fragile suite à l'unification politique de 1861, appauvrie à la sortie de la première guerre mondiale et incapable de pourvoir aux besoins de l'ensemble de sa population croissante. Le mythe des Amériques ayant perdu toute attractivité, c'est l'Europe et en particulier la France, pays voisin aux frontières perméables, que choisirent nos grand-parents pour leur nouvelle vie familiale, comme nombre de leurs concitoyens dans la période 1920-1936. Ils suivirent donc un flux migratoire spontané, calqué sur la tendance du moment mais sans doute influencé également par des signalements parvenus de parents ou de connaissances déjà installés en Lorraine. Le besoin des industries lorraines en matière d'effectifs de main-d'œuvre de mineurs, d'ouvriers métallurgiques et autres était tel que le "bouche-à-oreille" contribua sans doute à aider les chefs d'entreprise de la région à recruter à l'étranger sans gros efforts ! |
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L'entrée du faubourg de Pompey
A leur arrivée, nos grand-parents purent compter sur le soutien d'amis et de membres de leur famille qui vivaient sur place. Grâce à ce réseau d'entraide et de solidarité au sein de la communauté italienne de Pompey, le jeune couple trouva facilement un logement à louer rue de Metz . Ils n'avaient guère de ressources, mais ils avaient réussi à transporter d'Italie ce qu'ils considéraient un petit trésor, à savoir les meubles en bois massif de leur immense chambre à coucher, qui furent certainement bien utiles pour leur nouveau logis et furent conservés durant toute leur vie comme des reliques. |
Notre grand-père, qui avait été formé aux métiers du bâtiment en Italie, obtint un emploi à Nancy chez Valli, entreprise de maçonnerie et de travaux publics. Leur processus d'intégration sociale se mit en place petit à petit et de façon naturelle, d'autant plus que leur présence à Pompey visait à devenir permanente. Toutefois, même dans le cas d'afflux migratoires saisonniers ou temporaires, le développement du pôle industriel de Pompey et de l'urbanisation qui en fut la conséquence directe fut accompagné d'une véritable politique d'accueil de la nouvelle population, qu'il fallait bien loger et à laquelle il fallait garantir un minimum de services sociaux. Nous nous souvenons encore par exemple de ce que nous appelions les "baraques des célibataires" du quartier Jeuyeté qui offrirent un toit aux jeunes Italiens venus pour travailler un an ou deux à l'usine de Pompey.
Les Italiens de Pompey et des autres cités industrielles de la Lorraine étaient, pour la plupart, originaires des régions du Nord du pays, des Marches et de la Romagne. Ceux qui arrivaient du Mezzogiorno, le Sud de l'Italie, étaient statistiquement moins nombreux. Ce qui nous a toujours frappées, c'est le campanilisme qui survivait loin de la patrie, malgré les liens qui unissaient les membres de la communauté italienne de Pompey. Les différences régionales d'accent, d'expressions dialectales, de coutumes, de tenues vestimentaires, de recettes culinaires, etc., étaient souvent raillées sans méchanceté au sein du groupe, façon d'en souligner leur caractère identitaire, car après tout un Lombard n'était pas un Vénitien (et vice versa), et un Italien du Sud encore moins! Les moqueries étaient plus féroces lorsqu'elles |
A gauche la rue de Metz et à droite la rue des Jardins Fleuris. Dans cette dernière résidait la majorité de la population italienne. |
d'une Italie surréelle qui nous semblait appartenir à une autre planète, et qui entonnait les chants de messe avec une ferveur contagieuse, pour la joie de ses fidèles, qui étaient tous des choristes amateurs, experts en … cacophonie ! Que de fois sommes-nous sorties de ces messes en proie à un fou rire causé par ces expérimentations vocales déconcertantes !
Chapelle du Faubourg |
Église Saint-Épvre |
permettaient. Nos grand-parents nous parlaient bien à l'avance des "grandes vacances" que nous allions passer avec eux en Italie, du voyage presque aventureux et interminable prévu en train d'abord jusqu'à Côme et en voiture ensuite pour "monter" au village, de la famille que nous allions rencontrer, de l'appartement où nous allions loger. Ils vivaient ainsi l'attente du départ avec la même impatience que nous, faisant semblant d'être simplement victimes de notre enthousiasme contagieux ! En dehors de ces séjours, ils entretenaient des contacts épistolaires réguliers avec leur nombreuse fratrie, à une époque où internet n'existait pas et où le téléphone était une invention récente. Notre grand-mère écrivait également à l'un de ses frères émigré à Buenos Aires, ce qui rendait l'association Italie-Argentine quelque peu mystérieuse à nos yeux, voire magique le jour où un
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Le phonographe argentin |
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Tous les immigrés que notre famille fréquentait étaient nostalgiques quand ils évoquaient leur pays et ils s'efforçaient de reproduire l'atmosphère italienne au quotidien pour faire vivre leurs racines. En premier lieu, les Italiens de Pompey, qui aimaient les moments conviviaux, rivalisaient entre eux pour la cuisine et les recettes typiques. Notre grand-mère était fière que nous dégustions avec appétit son "risotto", sa "polenta", son |
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Chaque année avant Noël, nos chanteuses adaptaient leur répertoire aux fêtes de fin d'année et s'exhibaient lors de visites qu'elles se rendaient mutuellement pour admirer la crèche que chacune avait réalisée dans sa propre habitation, selon la tradition italienne. Nous suivions notre grand-mère à ces rendez-vous du mois de décembre et nous attendions avec impatience l'après-midi magique prévu chez son amie de la rue des Jardins Fleuris, qui consacrait une pièce entière de son appartement à la réalisation de la crèche et de tout un village en miniature, illuminé et peuplé de petites statues animées mimant les métiers manuels et la vie quotidienne. Pour le Nouvel An, notre père nous faisait faire "la tournée des Italiens" et nous allions ainsi présenter nos vœux à tous les ressortissants italiens de Pompey avec lesquels notre famille était en rapport, munies de boîtes de chocolats à distribuer et prêtes à en recevoir à notre tour !
La plus grande fierté des Italiens de Pompey, c'était toutefois de pouvoir trouver leur place dans la société française de l'époque. Même s'ils tenaient à leur identité, ils avaient de la reconnaissance pour la nation qui les avait accueillis. Même s'ils inscrivaient leurs enfants aux cours d'italien organisés par le Consulat d'Italie de Nancy, même s'ils les envoyaient en colonies de vacances en Italie, ils voulaient avant tout en faire des citoyens français à part entière. Ainsi, c'est avec un mélange d'auto-ironie et de fierté que nos grand-parents citaient la date de naissance de leur troisième enfant: notre oncle naquit à Pompey un … 14 juillet, date symbolique pour celui qui fut pour eux l'enfant de la maturité et de la réussite en France et qu'ils prénommèrent Louis (traduction de Luigi), une façon de souligner une fois de plus leur intégration dans la société française.
Hormis leurs familles, qui pourrait reconnaître les enfants italiens dans cette classe de 1933 ?
A la veille de la deuxième guerre mondiale, notre grand-père, qui avait combattu dans les rangs italiens en 1914/18 et avait été récompensé par l'attribution d'une médaille de valeur militaire, de la croix de guerre et d'une pension de mutilé (raison pour laquelle il dut et voulut conserver toute sa vie la nationalité italienne), manifesta toutefois son attachement à la France dans une lettre adressée au Maire de Pompey en mars 1939 et se déclara à sa disposition en cas de conflit entre la France et d'autres pays. Quant à notre père, qui était ajusteur à la S.A. des Hauts Fourneaux, Forges et Aciéries de Pompey en 1942 et n'était pas encore nationalisé français, il fut réquisitionné, comme de nombreux jeunes travailleurs français, par les forces d'occupation allemandes et transféré en Allemagne pour y travailler dans le cadre du S.T.O. Ce fut un épisode douloureux pour notre famille, mais il fut relaté après coup avec une certaine fierté, comme si une "dette patriotique" avait été ainsi remboursée…
Pompey n'eut jamais son quartier italien, comme ce fut le cas dans les cités industrielles du nord de la région, mais ce fut un véritable lieu d'accueil pour de nombreux immigrés qui purent y construire une vie meilleure, en participant activement à la grande révolution industrielle en cours. C'est l'ouverture d'esprit des Lorrains que nous souhaitons souligner ici, malgré les préjugés et l'hostilité d'une minorité d'entre eux ; certes, ils avaient besoin de travailleurs étrangers pour combler l'insuffisance de main-d'œuvre locale mais ils surent fournir aux nouveaux arrivants des conditions qui leur permirent rapidement de passer de l'isolement à l'intégration. Nos grand-parents trouvèrent à Pompey l'atmosphère et les conditions nécessaires pour y réaliser leur projet de vie familiale, en harmonie avec la population locale et dans le respect des règles de la société française, tout en restant fidèles à leurs valeurs, à leurs traditions, à leur langue, à leur village et à ceux qu'ils y avaient laissés. C'est grâce à Luigi et Olga que notre enfance à Pompey - que par ailleurs nos parents rendirent heureuse et sereine - fut vécue positivement à cheval entre deux cultures.
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ACELTI ; AGOSTINI ; AGOSTINUS ; AGROSTINI ; ALZATI ; ANGELOT ; ANGIOLETTI ; ANTONETTI ; APPOLMARI ; ARMINCHIARDI
BAIONI ; BALACESSURA(?) ; BANNI ; BARBERI ; BARBERIO ; BARBI ; BASSALI; BASSETTI ; BASSI ; BATTISTINI ; BELLANI ; BELLINI ; BELLOTI ; BELLUCI ; BERTAZZON ; BERTHENON ; BERTIN ; BERNASCONI ; BIANCHI ; BIANCHINI ; BIANCO ; BIDI ; BIONAZ ; BISMARS ; BLASIOLI ; BOCCACINO ; BONA ; BORASCHI ; BORTO ; BORTOLON ; BRACHETTI ; BRAVO(?) ; BRÉVA ; BROVELLI ; BRUSES
CABASSICABODI ; CADARIO ; CALSAVARRA ; CALZONI ; CANDERLÉ ; CANZIANI ; CARLUCCI ; CASAROTTI ; CASETTA ; CASINI ; CASSIAUOMI(?) ; CECCHI ; CECCHINI ; CECCLUNI ; CHAMPAVELLE ; CHIAPELLA ; CHUIMENTI(?) ; CARRAL ; CASALI ; CASALINI ; CASTELLANI ; CASTOLDI ; CAVA ; CÉDRASKI-CEDRASCL(?) ; CENTA ; CECTRASCHI ; CHONCHETTI ; CIANFERANI ; CIPOLLONE ; COLAZUIOL(?) ; COLLI ; COLOMBO(?)
D'AGOSTINI ; DALBERTO ; DAL BIO ; DALLE ; DARODA-DA RODDA ; DEL PUP ; DELSIGNORE ; DÉON ; DEPLANO ; DESMICHELI ; DESTEFANI(?) ; DOLZA
ELICE
FAGANELLO ; FAMI(?) ; FAVARON ; FÉROGLIA ; FERRARI ; FILIPA ; FLULIPIPA(?) ; FORINI ; FOSSATI ; FUZETTI(?)
GAÏDA ; GALLIÈRE ; GANZER(?) ; GILLA ; GOBO ; GRAFFITI ; GROSSINI ; GUADOGUINERI(?) ; GUIDA
IEVEY ; IMARISIO
JARDONNI
LANDO ; LANGO ; LAPAILLOTTE ; LETTRIZ ; LOENZETTI(?) ; LORENZINI ; LUPORY
MADEUX ; MAGUONI(?) ; MALEINPENSA(?) ; MALTEOTI(?) ; MALY ; MANOLLETO(?) ; MANZONI MARCHETTI ; MARCHIANO ; MARCHIORO ; MARINECCI ; MARQUIS ; MARSAGLIA ; MARTINAZZI ; MATTÉAZZI ; MATTIONI ; MAUNGONI(?) ; MECCA ; MEREIRE(?) ; MÉNAGEZ ; MERCATI ; MÉNIGAZ ; MERCATI ; MÉRIGHI ; MIGRIS(?) ; MINELLA ; MÏSLECH ; MORETTI ; MORHAIN ; MOSCONI
NEGRI ; NEGRINI ; NELACLONI(?) ; NOSRI
OMARINI ; ORSINI ; ORTELLI
PADOWANI ; PAGANELLO ; PALANTANIO(?) ; PALUCCI ; PANIPARI ; PARACHINI ; PARRINI(?) ; PARRIZOLI ; PASSINATTO ; PELLEGRINI ; PÉRI ; PINOLI ; PINOSA ; PIROVANO ; PISANO ; POLI ; PORINI ; POZZOBON
RIGHETTO ; RINALDI ; RINALDO ; RINOLI ; ROCCO ; RODELLA ; RONCHIETTO ; ROSETTE ; ROSSI ; ROVEDA ; ROWA(?)
SACCO ; SAMPIETRO ; SANDRINI ; SARUGGUI ; SAUDINAT ; SAVINO ; SAVIO ; SCOLARI ; SCOPEL ; SIBILLIA ; SINCINI ; SONIA(?) ; SPINI ; STECCA ; STOCCO
TAGANELLO ; TANI ; TARABBIA ; TAVARON ; TAVOLO ; TEMPIA ; TESTA ; TOSI ; TOUELTI(?) ; TRIGIERIO ; TRINCOT ; TULLI ; TURCO
URBANI
VACONDIO ; VALLI ; VANDANA ; VANINI ; VASINA ; VERGERI(?) ; VICHENO ; VIGANO ; VIGEZZI ; VOLONGO(?)
ZAFFANI ; ZAMPIÉRI-ZAMPIERRI ; ZANETTI ; ZANOTTA ; ZANIN – ZANNIN ; ZONCA
(?) : indique une incertitude sur l'orthographe du texte manuscrit.
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1872 |
1876 |
1881 |
1886 |
1891 |
1896 |
1901 |
1906 |
1911 |
1921 |
1926 |
1931 |
1936 |
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Italiens | 13 |
23 |
10 |
0 |
2 |
3 |
5 |
45 |
146 |
182 |
158 |
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Étrangers | 241 |
353 |
424 |
434 |
379 |
451 |
386 |
369 |
807 |
118 |
|||
Pompéiens | 741 |
1565 |
2306 |
2613
|
2718 |
2734 |
3151 |
3555 |
3616 |
3633 |
3783 |
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Total habitants | 754 |
1852 |
2679 |
3037 |
3156 |
3119 |
3612 |
4031 |
4277 |
4804 |
4217 |
Les données de ce tableau proviennent des dénombrements de Pompey, déposés aux archives départementales de Meurthe-et-Moselle (disponibles sur le site Internet de ces mêmes archives).
Les valeurs de 1881 et 1886 n'apparaissent pas car ces dénombrements ne précisent pas les étrangers.
Il est à noter que la population provenant des territoires d'Alsace-Lorraine était considérée comme étrangère.